Monsieur Adulte veut redevenir un enfant
Monsieur Adulte est une grande personne. Une très, très, grande personne avec un corps long et voûté. Il laisse souvent sa tête pendre au bout de son long cou. Les matinées de monsieur Adulte se ressemblent presque toutes et il ne se souvient pas des autres !
Il est à peine réveillé qu’il se sent déjà épuisé. Dans ces conditions ouvrir les yeux n’est jamais facile. Monsieur Adulte regarde l’heure « Il est trop tôt » se dit-il, « Beaucoup trop tôt !». Puis, il soulève sa couverture. « C’est trop lourd. », soupire monsieur Adulte « Beaucoup trop lourd ! ». Son corps est fatigué et monsieur Adulte se lève avec difficulté.
Ce n’est pas fini ! Monsieur Adulte réussit à repousser sa couette épaisse et doit maintenant faire attention de se lever du bon pied, mais PATATRA, c’est loupé ! Il ne sait même pas lequel est le bon. « C’est trop dur. Beaucoup trop dur ! », s’exaspère monsieur Adulte en secouant la tête. Il se rend ensuite vers sa fenêtre, les bras ballants et en traînant les pieds.

Comme tous les matins, il espère voir le soleil, mais comme tous les matins de monsieur Adulte se ressemblent, il est déçu. « Des nuages, rien que des nuages et de la pluie. », gémit-il « Beaucoup trop de pluie. ». C’est un monsieur bien morose, monsieur Adulte, un monsieur qui ne voit pas grand-chose et peu de couleurs. Il se lave sans grande motivation et s’habille sans imagination. Il ne prend pas de petit déjeuner parce qu’il traîne des pieds. Il ne lui reste jamais assez de temps pour manger. Il faut qu’il file au plus vite au travail !
Au travail monsieur Adulte fait ce qu’il a à faire. Il termine ses missions dans son bureau, derrière son ordinateur. Il ne voit pas les autres prendre leur pause, il oublie de manger et s’en rappelle seulement bien après midi, lorsque son ventre gronde et que sa tête tombe de plus en plus bas, fatiguée d’être portée sans énergie. Monsieur Adulte aurait préféré rester chez lui. « J’ai faim ! Beaucoup trop faim ! »
Les heures passent lentement au travail, monsieur Adulte regarde souvent sa montre, mais le temps s’écoule doucement. « Que le temps est long ! » s’exclame-t-il exaspéré. « Beaucoup trop long. ». Quand il est enfin l’heure de rentrer, monsieur Adulte ne se réjouit même pas. Il se sent fatigué et il rentre, comme toujours, en traînant les pieds. Les nuages sont toujours là, la pluie aussi. A l’abri dans sa voiture, il gronde «Il pleut trop ! Il pleut beaucoup trop ! ».
Enfin chez lui, monsieur Adulte mange les restes de son dîner de la veille. Il regarde son portable en mangeant, puis regarde son portable sur son canapé. Au bout d’une heure, il décide d’aller au lit. Comme tous les soirs, il se brosse les dents et comme tous les soirs le chemin de la salle de bain jusqu’au lit lui paraît extrêmement éreintant. Enfin, comme tous les soirs, les bras ballants et en traînant des pieds, monsieur Adulte ferme ses rideaux et part se coucher.
La plupart des nuits de monsieur Adulte se ressemblent toutes : sombres, calmes et oubliées. Il ne se souvient de rien, mais ne se sent pas pour autant reposé. Pourtant, cette nuit est différente, il s’en souviendra, car cette nuit, pour la première fois depuis longtemps, monsieur Adulte rêve !
Monsieur Adulte fait même un joli rêve, un songe doux comme la caresse d’un parent qui nous aime. Cette nuit, il se revoit petit garçon, ce petit garçon qu’il était, qui aimait courir derrière le chien de sa mamie. Il se voit courir, courir et courir, le dos bien droit, la tête bien haute, levant correctement les pieds. « Ah quel sentiment de légèreté ! », marmonne-t-il dans son sommeil. « Quel bonheur ! ». Son rêve l’emporte loin dans les souvenirs de son enfance et de son insouciance. La mélodie de son propre rire d’enfant le berce au fil de la nuit.
Lorsque le jour se lève cette fois, quelque chose chez monsieur Adulte a changé.
Grâce à cette douce rêverie, le matin suivant ne ressemble pas aux précédents. Ce matin monsieur Adulte se réveille un sourire et non un soupir aux lèvres. « Quelle nuit agréable ! » se dit-il en s’étirant. « Quel bonheur ! » Contrairement aux autres matinées, il soulève sa couette sans réfléchir et sans hésiter sort du lit les deux pieds joints. Le dos toujours courbé, les bras encore ballants, mais la tête un peu plus relevée, il se dirige d’un pas décidé directement vers la salle de bain.
En lavant son visage, monsieur Adulte repense à son rêve. « Qu’est-ce que j’étais heureux étant petit.» Contemple-t-il. « Ah si seulement je redevenais un enfant ! »
Il se questionne : « Lorsque notre corps a déjà grandi, notre visage un peu vieilli et que l’on ne vit déjà plus avec ses parents, comment redevient-on un enfant ?
Je ne peux pas redevenir petit, mais je peux encore m’amuser comme si je l’étais encore ! »
C’est décidé, monsieur Adulte veut passer sa journée en prenant des décisions comme s’il était encore un petit garçon. Mais comment se comportait-il étant enfant ? Que faisait-il de différent ? « Quand j’étais plus jeune, beaucoup plus jeune, je chantais sous la douche.» se souvient-il. Chose dite, chose faite ! Son pyjama à terre, monsieur Adulte monte dans sa douche, ferme le rideau et chante à tue-tête. « La la LA LA LA LA la la la ». Il rit et module sa voix de différentes manières, « Blu bleu Blo Bla bla La la lu li lo » et utilise son pommeau de douche comme micro. « Quel plaisir ! Quel bonheur de chanter dès la première heure ! » s’émerveille-t-il.
Sa douche maintenant terminée, monsieur Adulte fait bien de ne pas oublier de s’apprêter pour aller travailler. « Comment je choisissais mes vêtements étant petit ? Je choisissais les vêtements les plus confortables et les plus amusants ! » Malheureusement monsieur Adulte est loin d’avoir des vêtements dans sa penderie que l’on puisse qualifier d’amusants. En revanche, il possède bel et bien des habits confortables.
Après une longue réflexion, il décide de ne pas mettre de cravates, ni de chemises. Ils ne sont pas nombreux les enfants qui s’habillent en costume cravate ! Il enfile le seul pantalon décontracté de son armoire et son pull à rayures orange, sa couleur préférée. Monsieur Adulte se détend.
« Je suis à l’aise. Bien plus à l’aise !
Prêt pour le petit déjeuner. ». Eh bien oui, quel enfant quitte sa maison sans avoir pris des forces ?

Au lieu d’un café, il se prépare un chocolat chaud et se sert un bol de céréales qu’il déguste devant des dessins animés. Le deuxième rire de la matinée ! Cette journée commence déjà bien mieux que toutes celles qui l’ont précédée. Quand vient le moment de quitter sa maison, monsieur Adulte décide de prendre le vélo plutôt que la voiture. Après tout, aujourd’hui, il vit comme un enfant et les enfants ne savent pas conduire. Il met ses baskets et son casque et sort de la maison avec un sac à dos. Le dos toujours courbé, les bras moins ballants et la tête légèrement relevée, il enfourche sa bicyclette.
Comme presque tous les matins, aujourd’hui aussi les nuages sont au rendez-vous, mais cette fois monsieur Adulte ne s’en plaint pas. Sur son vélo, il observe les alentours et laisse le vent le rafraîchir. Il remarque les éclaircies devant lui et apprécie le toucher de l’air sur sa peau. A chaque feu rouge, il devine des formes dans les nuages, il y voit des animaux. Tout à coup ce n’est plus si désolant que le ciel soit couvert, cela peut aussi être amusant.
Ses longues jambes sont un peu fatiguées parce qu’elles n’ont plus vraiment l’habitude de faire de l’effort. Pourtant, monsieur Adulte est tout de même plus rapide qu’à son habitude, puisque « Dans paris à vélo, on dépasse les autos » [1] et surtout, on évite les embouteillages ! « Quelle légèreté, quel bonheur de ne pas être pressé ! » S’écrit-il joyeux avant que son attention ne soit détournée par le bon d’une boulangerie.
« Un enfant aurait sûrement demandé à ce qu’on lui achète des friandises et il les aurait partagés avec ses amis ! ». C’est ce que s’imagine monsieur Adulte avant de s’arrêter pour s’acheter des carambars, des malabars, des œufs aux plats et des crocodiles, quelques croissants et deux pains au chocolat. Il ne verra pas ses amis aujourd’hui mais il verra ses collègues !
Arrivé au travail, Monsieur Adulte se sent déjà moins adulte, peut-être même adolescent. Certains collègues le regardent avec étonnement en le voyant arrivé, le dos toujours courbé, les bras plus tonifiés et la tête de plus en plus relevée. Monsieur Adulte se rend à son bureau, mais se rappelle qu’il faut travailler. Il fait la moue, car très déçu, il a du travail mais n’a pas envie de le faire.
Assis derrière son ordinateur, il grommèle un peu « Ah que ce serait bien si je pouvais redevenir un enfant à tout moment ! ». Néanmoins, après avoir fait la moue durant quelques minutes, monsieur Adulte se met au travail, les enfants aussi travaillent lorsqu’ils vont à l’école ou font leurs devoirs à la maison. Le travail, c’est comme l’école des adultes !
Il décide alors de faire comme s’il était en classe. C’est-à-dire qu’il va travailler, mais toutes les heures, il fera une petite pause de quelques minutes pour aller parler avec les camarades d’à côté, regarder par la fenêtre ou bien dessiner sur un bout de papier.
Après deux trois heures, c’est la récré. Tous les collègues sortent prendre l’air ou boire un café. Les enfants n’en boivent pas encore donc monsieur Adulte décide d’aller dehors pour proposer des bonbons à tout le monde. Il profite de sa sortie et, comme sur une cour de récréation, sautille et se dégourdit. Il se défoule comme il peut avant de retourner à son bureau. Monsieur Adulte est tout content parce qu’il a fait plaisir à ses collègues avec ses sucreries et son attitude. Il a même l’impression que certains de ses camarades sont à leur tour devenus un plus comme des enfants le temps de leur pause. Un peu plus souriants, un peu plus pétillants.
Après s’être de nouveau concentré pendant un certain temps, vient la pause déjeuner et pour la première fois depuis une éternité, monsieur Adulte, n’oublie pas d’aller manger. Loin d’avoir oublié, il est le premier à la cantine ! Après avoir choisi le plat qu’il préférait, il s’assoit à côté d’un collègue qui est aussi un peu enfant et lui propose de partager leurs desserts respectifs. « Quel plaisir ! Quel bonheur de partager et d’avoir de nouvelles choses à goûter ! » Se dit-il. Après tout, même les grandes personnes ont encore bien des choses à découvrir et à apprendre.
Le soir venu, monsieur Adulte pense et se réjouit « Quelle réussite ! Le travail n’est jamais passé aussi vite ! ». Il se sent un peu moins adolescent et un peu plus enfant. Il repense à ce qu’il pourrait dîner et se demande ce qu’il pourra faire d’agréable avant d’aller se coucher. Il file sur son vélo, heureux de rentrer pour profiter de sa soirée. Le chemin du retour lui paraît plus rapide et encore plus léger, le soleil commence à se coucher et les couleurs l’émerveillent. Que de beauté en une seule journée !
Lorsque monsieur Adulte passe la porte d’entrée, ses bras ne sont plus ballants et sa tête est droite, son dos beaucoup moins voûté. Monsieur Adulte se sent beaucoup plus léger.
A l’heure du dîner, étant enfant, il aurait voulu se nourrir uniquement de pâtes au beurre et de friandises. Cependant, monsieur Adulte se souvient de la recette de lasagne aux légumes que préparait sa maman. Les légumes font grandir les enfants et maintiennent les grandes personnes en bonne santé. « Je suis en bonne santé et je veux le rester ! ». Monsieur Adulte décide donc de cuisiner en écoutant les musiques de son enfance. Il chante en coupant les carottes pour sa sauce tomate. Fredonne en préparant sa béchamel, sautille de casserole en casserole avant d’enfourner le tout.
Après avoir dégusté son délicieux dîner, monsieur Adulte décide de bien faire les choses. Les enfants vont au lit à une heure raisonnable et aujourd’hui, il le fera aussi. Son pyjama gris dans le linge sale, il se vêtit de son pyjama bleu. Après avoir cherché son sablier partout, il se brosse les dents en respectant le temps conseillé par son dentiste parce que lorsqu’il était petit garçon, il faisait toujours bien attention. « Mes dents ont l’air bien propres. Vraiment très propres ! » se réjouit-il.
Les rideaux à présent fermés, monsieur Adulte est bien emmitouflé dans sa couverture et il se met à lire. La lecture lui avait manqué. Son livre n’est ni très gros, ni très compliqué, mais il le fait rêver. C’est un ouvrage qui raconte l’histoire d’un monde fantastique regorgeant de merveilleux mystères à découvrir. Monsieur Adulte semble disparaître dans son lit, comme s’il redevenait tout petit. Il s’endort profondément en espérant que demain, il se relève de nouveau à pieds joints.
[1] « La complainte de l’heure de pointe (à vélo dans Paris) » Joe Dassin, 1972, CBS Disques
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L’histoire du mois est celle de monsieur Adulte, un homme un peu morose, qui à la suite d’un rêve, décide de changer sa façon d’aborder sa journée !
« Monsieur Adulte fait même un joli rêve, un songe doux comme la caresse d’un parent qui nous aime. Cette nuit, il se revoit petit garçon, ce petit garçon qu’il était, qui aimait courir derrière le chien de sa mamie. Il se voit courir, courir et courir, le dos bien droit, la tête bien haute, levant correctement les pieds. « Ah quel sentiment de légèreté ! », marmonne-t-il dans son sommeil. « Quel bonheur ! ». Son rêve l’emporte loin dans les souvenirs de son enfance et de son insouciance. La mélodie de son propre rire d’enfant le berce au fil de la nuit.
Lorsque le jour se lève, quelque chose chez monsieur Adulte a changé. »
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